«Il n’est pas envisageable de retourner en Afghanistan»

Paperjam 22 août 2021
Témoignage

«Il n’est pas envisageable de retourner en Afghanistan»



Kaboul, Afghanistan, le 18 août 2021. (Photo: John Smith/Shutterstock)

Kaboul, Afghanistan, le 18 août 2021. (Photo: John Smith/Shutterstock)

Les Afghans du Luxembourg assistent avec horreur à la chute de leur pays aux mains des talibans, craignant pour leurs familles au pays. Ceux qui attendent toujours leurs papiers, comme Tahera Mohamadi, s’inquiètent d’un avenir incertain.

«Ce fut un chemin long et périlleux pour arriver jusqu’ici», témoigne Tahera Mohamadi. Elle est arrivée au Luxembourg avec son mari et sa fille il y a près de quatre ans, transférés d’un camp de réfugiés en Grèce.

Leur demande d’asile a été refusée à deux reprises par les autorités luxembourgeoises, mais l’affaire est toujours en cours de traitement devant les tribunaux. Mme Mohamadi et sa famille craignent évidemment un nouveau rejet. «Il n’est pas envisageable de retourner en Afghanistan», a-t-elle déclaré, dans une interview accordée à Delano.

L’un de ses frères est arrivé au Luxembourg en 2015, mais d’autres membres de la famille ont dû retourner en Afghanistan. «Ils sont effrayés», déplore-t-elle. «La situation est très difficile, surtout pour les femmes et les filles, ainsi que pour les minorités.»

Des menaces sur les minorités ethniques et religieuses

Tahera Mohamadi et sa famille font partie des Hazaras, un groupe ethnique et religieux minoritaire considéré comme l’une des communautés les plus opprimées et dépossédées du pays.

Amnesty International a déclaré voici quelques jours que les talibans avaient massacré neuf hommes hazaras après avoir pris le contrôle de la province de Ghazni le mois dernier, se référant à des témoins oculaires. L’organisation s’attend à ce que davantage de personnes aient été tuées. «Les minorités ethniques et religieuses restent particulièrement menacées sous le régime taliban en Afghanistan», a déclaré la secrétaire générale Agnès Callamard, dans un communiqué.

«Quand vous êtes Hazara, il est clair que votre visage est différent et qu’ils choisissent facilement les gens et les tuent sans poser de questions», explique Mme Mohamadi. L’attention des médias sur Kaboul cache des crimes commis dans d’autres régions, assure-t-elle, ajoutant qu’elle ne croyait pas un mot des promesses des talibans à la télévision.

Un porte-parole des radicaux talibans lors d’une conférence de presse cette semaine a assuré que les talibans étaient attachés aux droits des femmes en vertu des lois de la charia, ajoutant qu’elles seraient autorisées à travailler et à étudier «dans certains cadres». Le groupe a également promis l’amnistie pour les représentants du gouvernement. «Ils essaient de montrer qu’ils ont changé. Mais je pense que ce n’est qu’une fable», s’insurge Tahera Mohamadi. «Ce sont des groupes différents dans différentes villes. Le groupe de Kaboul essaie de se montrer sous un meilleur jour.»

Une patrie, mais plus une maison

L’Afghanistan est la patrie de Mme Mohamadi, mais elle ne la considère plus comme sa maison.

Née en Iran, sa famille a décidé de retourner en Afghanistan quand elle avait 15 ans. «Pour la première fois, j’ai vu mon pays», se souvient-elle. «C’était une vie très difficile en Afghanistan après la guerre. Mais nous l’avons accepté pour ne plus être des réfugiés.» Elle sera diplômée de l’université en 2011. En tant qu’architecte, elle a travaillé sur un projet de restauration du palais Darul Aman à Kaboul. Les talibans ont lancé une série d’attaques contre le bâtiment en 2012. En raison de la discrimination subie en tant que Hazara et de préoccupations pour leur sécurité, la famille a décidé de fuir. «Quand vous voyez que votre vie est, encore une fois, en danger, vous choisissez de partir.»

Tahera Mohamadi a travaillé à la restauration du palais Darul Aman à Kaboul avant de fuir le pays. (Photo: Shutterstock)

Tahera Mohamadi a travaillé à la restauration du palais Darul Aman à Kaboul avant de fuir le pays. (Photo: Shutterstock)

Elle envisagerait de retourner en Afghanistan si elle et sa famille pouvaient le faire en toute sécurité. À l’heure actuelle, cependant, elle cherche des moyens de faire sortir sa mère du pays. «Si j’avais des papiers et un travail ici, je pourrais les soutenir.»

Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères Jean Asselborn (LSAP) s’est prononcé contre l’expulsion des demandeurs d’asile vers l’Afghanistan. Son ministère n’a pas répondu aux questions de Delano cette semaine pour savoir si les demandes de protection internationale seraient systématiquement approuvées à la suite du conflit.

Les dirigeants de l’UE ont déclaré qu’il fallait proposer une réponse commune à l’arrivée potentielle de demandeurs d’asile à ses frontières. Dans le même temps, les pays membres sont depuis longtemps divisés sur la politique migratoire à appliquer. Le type d’accord nécessaire pour empêcher une répétition de la crise des réfugiés syriens semble hors de portée. «Il est très difficile pour les personnes qui vivent ici d’imaginer repartir là-bas», assène Tahera Mohamadi, au moment où les gouvernements occidentaux se disputent pour savoir qui sortir d’Afghanistan et comment.

Vingt années perdues

Une génération de jeunes gens en Afghanistan a grandi sans les talibans au pouvoir, et alors qu’il y avait des attaques et des conflits, ils ont bénéficié de plus de libertés, d’une éducation, d’une presse indépendante, et plus encore. «Quand j’imagine la situation, c’est un cauchemar pour moi. Et ce sera bientôt pire encore», regrette Tahera Mohamadi.

Beaucoup de choses ont changé dans le pays depuis 2001. «Les gens connaissent l’extérieur, ils sont éduqués. Les enfants allaient à l’école. Nous avons pu voir beaucoup de changements, beaucoup de progrès. Mais je pense que nous avons reculé de 20 ans.»

Des vidéos largement diffusées sur les réseaux sociaux cette semaine ont montré des femmes descendant dans les rues de Kaboul pour protester contre les talibans et exiger le respect de leurs droits. Reste à savoir si ces poches de l’opposition pourront survivre. Elles pourraient également prospérer une fois que le choc de l’avance rapide des talibans s’atténuera.

Les dirigeants occidentaux ont appelé les talibans à respecter les droits humains, à permettre l’évacuation en toute sécurité des personnes de l’aéroport de Kaboul. «Mais ils font ce qu’ils veulent», dit notre interlocutrice.

Tahera Mohamadi estime que les talibans ne devraient pas être reconnus comme le gouvernement officiel de l’Afghanistan. «Parce que ce sont les mêmes talibans qu’il y a de nombreuses années; ce sont exactement les mêmes.»

Cet article a été écrit pour  Delano , traduit et édité pour Paperjam.