Politique d’accueil : Les normes « sont respectées »
Suite à une analyse inédite du Lëtzebuerger Flüchtlingsrot sur les conditions de vie « déplorables » dans certaines structures d’hébergement pour les personnes réfugiées, le ministère de la Famille et l’Office national de l’accueil, interpellés par le woxx, répondent aux accusations de violations des normes européennes.

Les taux d’occupation ne cessent de monter dans les structures d’accueil et d’hébergement. Dans huit de ces structures, le LFR avait témoigné de conditions de vie « déplorables » et dénoncé des « violations importantes aux standards européens ». (© María Elorza Saralegui/woxx)
Des cabines de toilette avec le verrou cassé, des douches dont le carrelage est couvert de grumeaux, de la nourriture indigeste, des lits collés les uns à côté des autres… Il y a plusieurs mois, un rapport inédit du collectif « Lëtzebuerger Flüchtlingsrot » (LFR), auquel le woxx avait eu accès, détaillait pour la première fois systématiquement les conditions de vie dans les structures d’accueil et d’hébergement pour les personnes réfugiées (woxx 1839). Des 73 existant au grand-duché, huit de ces centres étaient pointés du doigt par l’analyse du collectif. En cause : des manquements graves au niveau de la dignité humaine ou du confort de vie. Or, malgré les critiques du LFR dans son rapport et malgré les photos et les preuves qui y sont détaillées, le ministère de la Famille, interpellé par le woxx, affirme : « Les normes européennes en vigueur sont respectées dans toutes les structures de l’ONA. »
Au niveau européen, ces normes en vigueur sont établies par une directive européenne de 2013 ainsi que par un guide de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile. Ce dernier indique des critères pour le logement des demandeur·euses d’asile, notamment un nombre maximal de quatre adultes par chambre et une surveillance au moyen de contrôles indépendants. Des huit structures analysées, aucune ne satisferait complètement ces normes de base. Selon le LFR, il s’agit surtout de structures temporaires, mises en place pour répondre à une urgence liée à la saturation, mais devenues des centres d’hébergement pour plusieurs mois, voire années. « Les conditions de vie dans les structures d’hébergement sont une priorité », répond à son tour l’Office national de l’accueil (ONA) au woxx. « Il est veillé en permanence à ce que chaque personne hébergée puisse vivre dans des conditions décentes, sûres et dignes. Les éventuels problèmes identifiés font l’objet d’un suivi rigoureux et sont traités rapidement. »
Des exceptions temporaires ?
Structure par structure, l’analyse du collectif LFR a constaté des « violations importantes aux standards européens », avec trois critiques principales : l’insécurité, notamment pour les femmes, le manque d’intimité et l’insalubrité. La sécurité serait garantie par des agent·es présents « sur la plupart des sites », répond le ministère de la Famille. Il s’agit d’agent·es spécialement sensibilisé·es au travail avec des personnes en situation de vulnérabilité. Quant à la salubrité, tant la qualité de l’hygiène que celle de la nourriture seraient assurées par les prestataires des services professionnels sous contrat, indique le ministère, même s’il ajoute : « Malgré ces mesures, il n’est pas exclu que des saletés ponctuelles puissent survenir. » Contrairement à tout autre logement, les structures sont exclues de la loi de 2019 sur les critères minimaux de salubrité, d’hygiène, de sécurité et d’habitabilité. Bien que cette situation crée un « flou juridique » dénoncé par le LFR, le ministère justifie l’exclusion par le fait que les structures de l’ONA sont destinées à un usage « temporaire » – oubliant peut-être que, en attendant de recevoir une réponse à leur demande de protection et face aux difficultés de trouver un logement sur le marché privé, beaucoup des personnes y résident pendant des années.
Selon le LFR, les conditions non dignes risquent d’occasionner des impacts considérables sur la santé tant physique que mentale des résident·es. Alors que toute personne hébergée a le droit de signaler des abus, dans la pratique, les ONG pointent le fait que de nombreuses plaintes sont « classées sans suite ». Or, l’ONA ne rapporte aucune plainte officielle « formellement enregistrée concernant les conditions de vie dans ses structures d’hébergement » depuis 2020. « Dans les cas où des situations individuelles soulèvent des difficultés particulières, celles-ci sont examinées en collaboration avec les partenaires institutionnels et sociaux concernés, dans un souci constant d’amélioration et de respect du cadre légal applicable », assure-t-on au woxx.
Quant aux critiques concernant des structures particulières dénoncées dans l’analyse, le ministère assure qu’il s’agit d’exceptions. Ceci serait le cas pour un dortoir à Soleuvre, par exemple, qui existe depuis 2017 et hébergerait trente femmes dans une seule pièce – violant ainsi une des normes européennes. Mais la chambre est « divisée en différentes zones, afin de garantir la vie privée des résidentes. En général, les chambres à coucher aussi grandes constituent une exception », se défend le ministère, qui avoue ne pas être en mesure d’indiquer le nombre moyen de lits par chambre dans les structures d’accueil, car toute structure varie en fonction de l’espace et de l’utilisation.
Des contrôles… mais pas indépendants
Les ONG sur le terrain réclament un accès aux structures et dénoncent le manque d’inspections indépendantes. Depuis le premier juin 2024, les structures tombent certes sous le cadre de la loi « commodo », explique l’Inspection du travail et des mines (ITM). L’ITM accorde ainsi une autorisation d’exploitation à chaque établissement : « En théorie les ‘exploitants’ doivent maintenant introduire une demande d’autorisation jusqu’au 1er décembre 2025 », détaille une porte-parole au woxx. « Vu qu’il s’agit d’une mise en conformité d’un établissement existant, nous ne pouvons pas demander de modifications touchant le gros œuvre. Dans cette autorisation, nous accordons en général [un délai qui stipule que] l’établissement doit être mis en conformité dans les 24 mois. » Pourtant, ni le Service contrôles, exploitations et autorisations ni le Service des établissements soumis à autorisation n’ont pour le moment effectué de contrôles dans les structures, confirme-t-elle.
Des contrôles ont bien été réalisés, détaille l’ONA, mais par des organismes agréés : l’office lui-même et les gestionnaires de site effectuent des inspections pour garantir la conformité des structures, « notamment l’état général des locaux, les équipements, le mobilier et les installations sanitaires ». 138 contrôles auraient ainsi été effectués durant l’année 2024 dans 57 structures d’hébergement, avec une note moyenne de 85,73/100. L’office précise ne pas disposer de données consolidées pour les années précédentes.
Tout comme le gouvernement antérieur, le ministère de la Famille renvoie à la saturation des structures en guise d’explication pour les conditions dénoncées par le LFR : « Sous ces circonstances, il est nécessaire d’utiliser de manière optimale les structures disponibles afin de pouvoir accueillir toutes les personnes qui souhaitent introduire une demande de protection internationale ou une demande de protection temporaire au Luxembourg. » Force est de constater qu’en dépit des besoins et d’une saturation chronique, les structures ne sont pas pensées pour un logement à long terme, ni par le gouvernement ni par les communes, dont le LFR dénonce pour quelques-unes le manque de solidarité. S’y ajoute le marché locatif privé du grand-duché, qui ne facilite pas l’autonomie des personnes ayant obtenu une protection, mais n’arrivant que très difficilement à sortir d’une structure de l’ONA – même avec du soutien et un travail. La violation de leurs droits, dans certaines structures comme en dehors, en est la conséquence : ainsi, depuis octobre 2023, des personnes demandeuses d’asile se retrouvent à la rue (woxx 1829) et voient leurs droits bafoués, selon les multiples ONG sur le terrain et les verdicts du tribunal administratif. Vu l’annonce du ministre de la Famille, Max Hahn, de la fermeture de plusieurs structures ces prochains mois, qui entraînerait la perte d’environ 400 lits en 2025 et d’encore 300 autres en 2026, les conditions de vie risquent de s’aggraver. Interpellé par le woxx à ce sujet, le ministère n’a pas voulu communiquer plus de détails