Un an dans les prisons luxembourgeoises: un ancien détenu livre son témoignage

Milieu carcéral
Richard Malpas a passé 12 mois de sa vie derrière les barreaux. Dans «P2. Un an dans les prisons luxembourgeoises», il revient sur son incarcération à Schrassig. Entre introspection et portraits de ses codétenus, il livre un témoignage loin des clichés.
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Richard Malpas, ce n’est pas son vrai nom. Il a choisi de camoufler sa véritable identité. Il y a une quinzaine d’années, cet homme a passé un an en détention provisoire derrière les barreaux de la prison de Schrassig pour une affaire de trafic de cannabis.

La prison marque, abîme et laisse des séquelles. Et les clichés qui l’entourent ne manquent pas… Alors Richard a voulu laisser une trace et raconter. Il a alors écrit «P2. Un an dans les prisons luxembourgeoises».

«La prison me faisait peur, pour être honnête»

Mais avant de plonger dans son récit, une question: pourquoi ce pseudonyme? «L’administration luxembourgeoise m’envoyait très souvent des lettres en m’appelant Richard. Je trouvais ça amusant. Mon grand-père m’appelle aussi Richard, je ne sais même pas pourquoi. Quant à Malpas, c’est venu de l’idée d’un mauvais pas, d’une erreur de parcours», raconte-t-il.

Les séries comme Prison Break ou Orange is the New Black ont largement façonné notre imaginaire carcéral. Mais elles véhiculent aussi bon nombre de préjugés. «La prison me faisait peur, pour être honnête», confie-t-il.

Pourtant, avec une enfance marquée par la violence et des années passées en internat, Richard pressentait que cela finirait par arriver.

Et pourtant, en feuilletant les pages de son livre, une phrase revient: «J’ai vécu mon arrestation comme une délivrance».

Il explique: «J’avais perdu mon emploi, je n’avais pas droit au chômage. Alors j’ai commencé à trafiquer, juste pour payer mon loyer, pour m’en sortir en attendant de retrouver du travail. Mais l’associé avec qui je bossais ne voulait plus me laisser partir. Il me menaçait pour que je continue. Et à côté de ça, je voyais bien que la police me surveillait. La concurrence non plus n’aimait pas que je prenne trop de place. J’étais menacé de tous les côtés ».

Il souffrait également d’une dépression, et cette arrestation l’a en quelque sorte soulagé.

Pour moi, ce qui fait la prison, ce ne sont pas les barreaux mais ce sont vraiment les personnes qu’on va y rencontrer qui font l’âme de la prison

Richard Malpas

«P2. Un an dans les prisons luxembourgeoises», ce n’est pas seulement son histoire, c’est aussi celle de toutes les personnes croisées en détention. Et surtout, celle de ses codétenus. «Pour moi, ce qui fait la prison, ce ne sont pas les barreaux mais ce sont vraiment les personnes qu’on va y rencontrer qui font l’âme de la prison. C’était donc naturel de faire découvrir la prison à travers toute une série de personnes», insiste-t-il.

L’importance de l’humour en détention

«Cette série de portraits, je me devais de la commencer par mon meilleur copain, celui grâce auquel ma période de prison est passée plus vite et s’est éclairée de quelques heures de franche rigolade», peut-on lire dans les premières pages de son livre.

Ces mots évoquent sa relation avec Tommaso, un détenu de 18 ans de plus, qui lui rappelait son père. «C’était quelqu’un de bien. Il n’avait rien à faire en prison. Mais un jour, il a pris une mauvaise décision… et voilà il s’est retrouvé ici», raconte-t-il. Entre eux, une complicité s’est vite installée et ils passaient leur temps à se charrier, à rire et à se soutenir.

Je pense que le rire était une thérapie, on avait vraiment besoin de rire, c’est pour ça que tous les jours on faisait des blagues

Richard Malpas

Dans son livre, on ressent l’importance de l’humour en détention. Et dans notre entretien, il le répète «Je pense que c’était presque une question de survie. En fait, on était tous un peu en attente de savoir ce qui allait nous arriver en détention préventive. Je pense que le rire était une thérapie, on avait vraiment besoin de rire, c’est pour ça que tous les jours on faisait des blagues».

Richard jouait aussi un rôle à part dans la prison. Il parlait luxembourgeois, français et allemand, et c’était le seul qui parlait luxembourgeois, ce qui l’amenait à devenir, de fait, traducteur pour les autres détenus. «Les détenus qui parlaient un peu allemand recevait le dossier en français, et ceux qui parlaient un peu français, recevait le dossier en allemand. Comme il n’y avait pas de traducteur, je traduisais les papiers qu’ils recevaient pour les aider à comprendre où ils en étaient avec leur procédure, et ce qu’il leur arrivait».

Et c’est comme ça qu’il gérait les moments de solitude et d’ennui, en aidant ses codétenus. De son côté, il faisait des études par correspondance en économie d’entreprise, et suivait une formation en comptabilité.

Les détenus sont coupés du monde extérieur

Quinze ans ont passé, mais a-t-il des souvenirs de son premier jour de détention? «Oh oui beaucoup», s’exclame, l’ancien détenu. «Je suis arrivé en pleine nuit, à mon avis vers 2 h du matin. Avant, j’ai eu 6 ou 7 heures d’interrogatoire, et quand on m’a donné à deux policiers pour me transférer, il y en a un des deux qui m’a mis les menottes extrêmement fort et m’a cogné la tête contre la voiture. Ensuite, en arrivant, j’ai dû me déshabiller entièrement devant un tas de gardiens. On m’a mis ensuite dans une cellule individuelle, où j’étais en isolement pendant 24 à 48 heures. Pendant ce temps, ils ne me donnaient rien à manger. C’était de la grande anxiété. Il y avait un silence, et parfois j’entendais des hurlements», explique Richard.

Quand on est en prison, ce qui est difficile, c’est qu’on se rend compte qu’on est comme sorti du temps et que le temps continue à courir sans nous à l’extérieur. On a l’impression qu’on rate plein de choses, qu’on perd des années de vie.

Richard Malpas

Ce qui lui a le plus manqué du monde extérieur, c’est le mouvement. « Quand je suis sorti, c’était très difficile, je n’arrivais pas à aller en ville avec du monde partout, avec des voitures qui passent… Tout ce mouvement, cette vie qui avance, qui défile partout… en prison, c’est très statique. On est tous dans les mêmes cellules, avec les mêmes personnes.»

Alors que la société défile et les changements se succèdent à l’extérieur, les détenus, eux, en sont coupés. «Quand on est en prison, ce qui est difficile, c’est qu’on se rend compte qu’on est comme sorti du temps et que le temps continue à courir sans nous à l’extérieur. On a l’impression qu’on rate plein de choses, qu’on perd des années de vie».

Les parloirs permettent de garder un lien avec l’extérieur. Richard recevait très régulièrement la visite de la mère de son meilleur ami, jusqu’à son décès, deux mois après son incarcération. «Elle n’est plus venue et je me demandais ce qu’il se passait, parce que c’est elle qui prenait mon linge sale pour le laver, j’étais inquiet… C’est mon meilleur ami qui est venu m’annoncer la nouvelle. S’il y a bien un moment où j’ai voulu être dehors, c’était pour son enterrement. C’était très dur, et ma demande au juge d’instruction a été malheureusement refusée». Richard avait aussi des visites de la part de ses parents, mais surtout de son père.

Enfermés 21 heures par jour

Entre les murs d’une prison, il y a les détenus, mais il y a aussi les surveillants, qui ont une place importante, et sont au quotidien en contact avec les détenus. «Je ne garde pas de très bons souvenirs des gardiens de prison. Beaucoup ont eu des comportements scandaleux», avoue Richard.

Il dénonce la xénophobie et le racisme de certains d’entre eux. «Beaucoup étaient racistes. Ils embêtaient souvent les sans-papiers, ils leur coupaient l’eau chaude pendant les douches pour s’amuser. Certains considéraient que d’être en prison, ce n’était pas une punition suffisante. Ils voulaient blesser les gens, leur faire payer physiquement leur faux pas», explique-t-il.

Richard Malpas raconte l’épreuve de la prison à travers une série de portraits. © PHOTO: Sandra Lochon

Il indique qu’à l’époque les conditions de détention laissaient à désirer. «Il y avait de la surpopulation, on n’avait presque pas de place. On était dans une toute petite cellule, entassés à trois. On avait une sortie le matin et une l’après-midi, très courte, dans la cour juste en bas du bâtiment, et on tournait en rond. On n’avait qu’une heure de sport par semaine. On était enfermés 21 heures par jour, à peu près», explique-t-il.

Sa sortie de prison, Richard s’en souvient comme si c’était hier. «C’est un moment auquel je ne m’attendais pas du tout, car j’avais fait environ 5 ou 6 demandes de libération provisoire et elles avaient toutes été refusées. J’avais même oublié qu’une nouvelle décision allait être prise.»

À sa sortie, ses parents l’attendaient. Mais il n’a pas pu beaucoup profiter de sa famille car deux jours après sa libération, il a dû aller à l’hôpital du Kirchberg, dans l’aile psychiatrique, où il a été enfermé pendant deux semaines.

«La solution était d’aller dans le sens de mes juges, et c’est pourquoi, dès mes dernières demandes de liberté provisoire, mon avocate dut ajouter que j’allais observer une période de sevrage dans un hôpital, et que j’allais ensuite rejoindre un centre spécialisé pour soigner mes vices… Cela me donnait quelques chances, lors de mon procès, de ne pas être renvoyé en prison», explique-t-il dans son livre.

En prison, on nous traitait comme des monstres, mais au moins comme des êtres humains. Là-bas, on n’était même plus considérés comme humains.

Richard Malpas

Ce passage à l’hôpital psychiatrique restera l’un de ses pires souvenirs. «En prison, on nous traitait comme des monstres, mais au moins comme des êtres humains. Là-bas, on n’était même plus considérés comme humains. Ça m’a marqué, même un peu traumatisé», confie-t-il.

Une perte de repère à la sortie

Sortir de prison est souvent une seconde épreuve pour les personnes passées par la case prison. La perte de repères en est souvent une des causes, mais le manque d’argent en est aussi une autre. «La période d’après-prison était extrêmement dure pour moi, et j’étais vraiment obligé de travailler non-stop, 7 jours sur 7. Comme je devais de l’argent au tribunal, car j’ai été condamné à une amende, je travaillais en plus de mon travail: la nuit et le week-end, je faisais des chantiers. En sortant de prison, j’ai travaillé dans une banque. On venait me chercher avec une camionnette à la sortie de mon travail, je me changeais dans la camionnette, et après, je faisais des chantiers jusqu’à minuit», avoue-t-il.

Et puis après, Richard a voulu faire table rase du passé. Il est donc parti cinq ans à Bruxelles et en a profité pour faire des études supérieures en cours du soir.

À ce moment-là, il a totalement coupé les ponts avec le Luxembourg. Cinq ans plus tard, il est revenu au Grand-Duché avec son épouse, mais s’est créé un tout nouveau cercle d’amis et de relations à l’autre bout du pays.

Aujourd’hui, pourtant, si avec un certain recul, je déplore les erreurs qui m’ont mené en prison, je ne regrette pas le temps que j’ai passé là-bas. J’ai l’impression que c’est là que je suis devenu adulte et je sais que cette expérience m’a grandi

Richard Malpas

«Aujourd’hui, pourtant, si avec un certain recul, je déplore les erreurs qui m’ont mené en prison, je ne regrette pas le temps que j’ai passé là-bas. J’ai l’impression que c’est là que je suis devenu adulte et je sais que cette expérience m’a grandi», peut-on lire dans son livre.

Page après page, on se rend compte que Richard fait aussi une critique de la société. «La vie dans notre société peut être plus dure qu’en prison», dénonce-t-il. Que veut-il dire par là ? «J’étais très choqué. J’ai travaillé pendant 10 ans dans le secteur financier au Luxembourg, et honnêtement, quand je regarde la moyenne des gens en prison, je trouve que c’étaient de meilleures personnes que les collègues que j’ai eus. En prison, j’avais des personnes qui n’avaient rien, mais qui partageaient vraiment le peu qu’elles avaient», explique l’ancien détenu.

«Quand je suis arrivé, j’étais avec deux détenus qui m’ont offert du thé et à manger, et il faut savoir que ce sont des choses qu’ils ont cantinées avec le peu d’argent qu’ils ont. Ils n’ont presque rien, et ils me le partagent. Alors que les collègues que j’ai eus pendant de nombreuses années, qui ont beaucoup d’argent, ne partageraient rien», ajoute-t-il.

Un deuxième livre prévu

Richard ne veut pas oublier d’où il vient. Et même s’il cache son passage en prison pour protéger sa famille, et surtout ses enfants, il garde toujours un œil sur les dernières actualités entourant le milieu carcéral. Que répond-il aux clichés qu’il entend sur les prisons? «Moi, la dernière fois que j’ai entendu dire «c’est le Club Med», j’ai demandé à la personne combien de temps elle avait passé en prison, et je n’ai eu aucune réponse», répond-il ironiquement.

Richard travaille sur un second livre. Il y sera question de prison, mais aussi de pauvreté, de racisme, d’inégalités et de réinsertion. Il sortira sûrement «en février de l’année prochaine», nous confie Richard.

En lisant les dernières pages de son livre, on se rend compte que Richard a voulu mettre à l’honneur toutes les personnes qu’il a pu croiser en détention, toutes ces personnes dont la société veut détourner le regard. «La prison est le reflet douloureux de la société, une solution extrême aux problème de délinquance et sous d’autres cieux, ce qu’y vivent certains est innommable, bien au-delà de la peine qu’ils méritent. En concluant ce récit, je pense à eux», écrit-il.