De l’indignité à la décence, un parcours empreint de violences.

Editorial de la Newsletter 6 du Ronnen Desch

Notre société fait face à deux phénomènes graves : d’un côté, les principes de solidarité des pays membres de l’UE s’écroulent devant une vague de réfugiés sans précédent sur le continent européen depuis la deuxième guerre mondiale. De l’autre, la pauvreté s’approprie doucement mais sûrement des personnes en situation de précarité. Deux situations où la détresse et la misère se côtoient et devraient appeler à un sursaut d’effort et de solidarité. Car si la pauvreté peut détruire toute une famille, les réfugiés eux, portent la misère du déracinement et des traumas en eux. Car les conflits armés, les violations des droits humains, les violences politiques sont un terreau pour l’horreur la plus totale, où les crimes et l’abjection vont de pair. Ils représentent le dernier degré de l’abaissement de la société et de la dégradation morale.

Est-il encore nécessaire de rappeler que beaucoup de réfugiés ont dû faire face à la destruction systématique d’une grande partie de leurs biens et de leurs maisons et villes. Est-il nécessaire de rappeler que beaucoup de réfugiés ont été témoins de la disparition de proches, voire de leur famille entière ? Qu’ils ont été témoins de torture, d’exécutions ou de massacres collectifs ? Est-il encore nécessaire de rappeler que les déplacements massifs et les camps de réfugiés exposent tous les êtres à la privation de leurs besoins les plus fondamentaux et qu’ils sont exposés et impuissants face à la négligence, aux agressions et au rejet? Est-il encore nécessaire de rappeler que beaucoup de réfugiés ont été témoins de viols sur leur proches et que beaucoup en ont eux-mêmes été victimes ?

Le fait est, qu’une fois arrivées dans leur « pays d’accueil », ces personnes sont submergées par la souffrance, dans l’impossibilité de reprendre le cours de leur vie et soumis aux cauchemars, aux flash-back, aux impressions sensorielles et à la perte d’espoir dans l’avenir. Car la souffrance est aussi due aux conditions matérielles et humaines de l’accueil : la « création » d’une nouvelle identité, celle de réfugié. Le livre « Soigner Malgré tout » met très clairement en évidence qu’au-delà des traumas subis, « le réfugié doit souvent apporter des preuves des violences politiques subies dans le pays d’origine tout en motivant le choix du pays et en « rassurant » sur les capacités d’intégration future. « Il faut prouver que l’on a suffisamment souffert … »

Malheureusement, certaines conditions d’hébergement au Luxembourg sont loin de garantir la décence minimale requise : La distribution alimentaire présente régulièrement des failles avec la distribution d’aliments périmés et l’accès aux soins et loin d’être évidente. Qu’en est-il de notre indignité, de notre conscience, de notre humanité ? Voulons-nous oublier que les conditions de vie digne ne sont ni négociables, ni acceptables ? On pourrait s’imaginer qu’il y ait une instance indépendante qui visite régulièrement les foyers et rende attentif à d’éventuels manquements

L’Article 25 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme  stipule que « 1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; … ».

Dans ce sens, les efforts apportés par le Grand-duché ne suffisent pas. Même si nous essayons de nous convaincre que nous faisons mieux que les autres pays européens, il faut garder à vue d’œil qu’il ne s’agit pas de faire mieux que les autres, mais bien de garantir une vie digne et décente à chaque citoyen du Grand-duché. Il est important de se poser la question sur la décence, c.à.d. est-ce suffisamment juste, acceptable et correct ? Combattons-nous suffisamment la misère dans notre pays, pourtant si riche ? Respectons-nous la dignité de chacun, car oui, tout le monde a de la valeur du simple fait qu’il « est » un être humain?

Il est utile d’avancer. Dans l’intérêt de tous.

David Pereira, Président de Amnesty International , Luxembourg