CJUE : définition d’un pays sûr.

Arrêt de la Cour dans les affaires jointes C-758/24 | [Alace] et C-759/24 | [Canpelli] 1

Protection internationale : la désignation d’un pays tiers comme « paysd’origine sûr » doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif.

Le texte de l’arret : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=297822&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=9359340

RESUME

Un ressortissant d’un pays tiers peut voir sa demande de protection internationale rejetée dans le cadre d’une procédure accélérée à la frontière lorsque son pays d’origine est désigné comme « sûr » par un État membre. La Cour précise que cette désignation peut être effectuée par un acte législatif, à condition que celui -ci puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif portant sur le respect des critères matériels fixés par le droit de l’Union.

Les sources d’information ayant fondé cette désignation doivent être accessibles au demandeur et au juge national.

Un État membre ne peut toutefois inclure un pays dans la liste des pays d’origine sûrs si celui-ci n’offre pas une protection suffisante à toute sa population.

Conformément à la directive 2013/32/UE 2, les États membres peuvent accélérer l’examen des demandes de protection internationale et mener celui-ci à la frontière lorsque ces demandes émanent de ressortissants de pays tiers considérés comme offrant une protection suffisante. En Italie, cette désignation de pays tiers comme « pays d’origine sûrs » s’effectue, depuis octobre 2024, par un acte législatif. En vertu de cet acte, le Bangladesh est considéré en Italie comme un tel « pays d’origine sûr ».

C’est dans ce cadre que deux ressortissants du Bangladesh secourus en mer par les autorités italiennes ont été conduits dans un centre de rétention en Albanie en application du protocole Italie-Albanie 3 , où ils ont déposé une demande de protection internationale. Leur requête a été examinée selon la procédure accélérée à la frontière par les autorités italiennes, qui l’ont rejetée comme non fondée au motif que leur pays d’origine est considéré comme « sûr ».

Les demandeurs ont contesté la décision de rejet devant le tribunal ordinaire de Rome, qui s’est tourné vers la Cour de justice afin d’éclaircir l’application du concept de « pays d’origine sûr » et les obligations des États membres en matière de contrôle juridictionnel effectif. Le juge de renvoi soutient que, contrairement au régime antérieur, l’acte législatif d’octobre 2024 ne précise pas les sources d’information sur lesquelles le législateur italien s’est fondé pour évaluer la sûreté du pays. Dès lors, tant le demandeur que l’autorité judiciaire se trouveraient privés de la possibilité, respectivement, de contester et de contrôler la légalité d’une telle présomption de sûreté, en examinant notamment la provenance, l’autorité, la fiabilité, la pertinence, l’actualité et l’exhaustivité de ces sources.

La Cour répond que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’un État membre désigne un pays tiers comme pays d’origine sûr par un acte législatif, à condition que cette désignation puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif. Ce contrôle doit porter sur le respect des conditions matérielles d’une telle désignation prévues à l’annexe I de la directive, notamment lorsqu’un recours est introduit contre une décision rejetant une demande d’asile dans le cadre de la procédure accélérée applicable aux ressortissants de pays ainsi désignés.

La Cour souligne également que les sources d’information sur lesquelles repose une telle désignation doivent être suffisamment accessibles, tant pour le demandeur que pour la juridiction compétente. Cette exigence vise à garantir une protection juridictionnelle effective, permettant au demandeur de faire valoir utilement ses .droits et au juge national d’exercer pleinement son contrôle. Par ailleurs, la juridiction peut, lorsqu’elle vérifie si une telle désignation respecte les conditions prévues à l’annexe I de la directive, prendre en compte des informations qu’elle a elle-même recueillies, à condition d’en vérifier la fiabilité et de donner aux deux parties à la procédure l’occasion de présenter leurs observations sur ces informations supplémentaires.

Enfin, la Cour précise que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’un nouveau règlement qui remplacera la directive actuellement applicable, un État membre ne peut pas désigner comme pays d’origine sûr un pays tiers qui ne satisfait pas, pour certaines catégories de personnes, aux conditions matérielles d’une telle désignation. Le nouveau règlement 4, qui permet de prévoir des exceptions pour de telles catégories de personnes clairement

identifiables, sera applicable à partir du 12 juin 2026, mais il est loisible au législateur de l’Union d’anticiper cette date