„Un manquement flagrant“
DÉFAUT D’INTÉRÊT À AGIR CONTRE DÉFAUT DE CONFORMITÉ CONSTITUTIONNELLE
tageblatt 31.7.2025

Photo: Editpress/Julien Garroy
Le recours en annulation de deux mendiants contre la décision du ministre Gloden d’approuver le „Heescheverbuet“ de la Ville de Luxembourg a été déclaré irrecevable par le Tribunal administratif.
Cela m’interpelle.
M’y intéressant de plus près, j’ai pris connaissance d’un avis transmis le 30 janvier 2024 par le président de la Chambre des députés à la commission des Affaires intérieures et à la commission de la Justice réunies en formation jointe le 1er février 2024. Les deux commissions ont discuté alors de la validation, par le ministre Gloden, du „Heescheverbuet“ résultant de l’article 42 du nouveau règlement général de police de la Ville.
La première partie de cet avis soutient qu’il n’existerait aucune objection juridique à la validation de ce nouveau règlement communal. Elle met en évidence le décret royal du 14/12/1789, qui demande aux communes de maintenir „la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques“. Dans sa deuxième partie en revanche, l’avis dit juste le contraire. Il observe en effet que „le pouvoir réglementaire des communes a été restreint par l’article 124 nouveau de la Constitution“ et que „selon la lecture que le Conseil d’État fait de cette disposition (…) les autorités communales ne pourront prendre des règlements communaux apportant des limitations aux libertés publiques qu’à la condition que le cadre de ces limitations soit déterminé dans la loi formelle“. Et il poursuit: „Le Conseil d’État estime que les notions de sécurité, de salubrité de tranquillité publiques (…) sont trop vagues pour déclencher la prise de mesures restreignant des libertés publiques.“ L’avis conclut qu’„une intervention du législateur serait de mise (… ) pour régler spécifiquement la question de la répression de la mendicité“.

Guy Foetz est économiste de formation et il a enseigné cette matière sous ses différents aspects pendant 35 ans dans l’enseignement secondaire et secondaire technique. Politiquement et syndicalement engagé à gauche dès l’âge de 20 ans, il est membre fondateur du parti „déi Lénk“.
Il est étonnant que, suivant le rapport de la commission jointe du 1 février 2024, aucun.e député.e ne soit intervenu.e sur ce problème de la conformité constitutionnelle du „Heescheverbuet“ municipal.
Ce qui est plus étonnant encore, c’est que cet avis contradictoire provienne de l’étude d’avocats Thewes et Reuter. Encore que ledit avis ait été signé par Maître Pierre Reuter, c’est bien l’avocat Marc Thewes qui avait assuré le recours de la Ville devant le Tribunal administratif contre le refus de l’ancienne ministre de l’Intérieur Bofferding d’approuver l’interdiction de la mendicité simple „dans l’intérêt de la sécurité et de la salubrité publiques“. À noter que ce recours a finalement été révoqué par la Ville à la suite de l’approbation du „Heescheverbuet“ par l’actuel ministre Gloden.
C’est encore Maître Marc Thewes qui a assumé la défense de la Ville devant le Tribunal administratif lors du recours en annulation des deux mendiants contre cette approbation. Il y a argumenté que les deux mendiants feraient figure de prête-noms pour permettre à des opposants politiques de porter l’affaire en justice; que des contrôles policiers ne devraient être assimilés à une interdiction de la mendicité; que les deux mendiants ne prouveraient ni qu’ils mendieraient, ni qu’ils seraient contrôlés et surtout qu’ils n’auraient pas eu besoin de mendier s’ils avaient demandé l’aide pour des personnes dans le besoin. Ce dernier argument surtout a suffi au Tribunal administratif pour débouter les deux mendiants pour „défaut d’intérêt à agir“, leur reprochant d’avoir „fait preuve d’un manquement flagrant de collaborer à la bonne administration de la justice“. Le Tribunal administratif a ainsi manqué une nouvelle fois l’occasion de statuer sur le fond de l’affaire, c’est-à dire la conformité du nouveau règlement communal à l’article 124 de la Constitution révisée.
Trois questions essentielles restent sans réponse pour moi dans tout ce contexte:
– Pourquoi le problème de la conformité constitutionnelle du „Heescheverbuet“ municipal n’a-t-il pas été soulevé par les député.e.s présent.e.s lors de la réunion jointe des deux commissions „Affaires intérieures“ et „Justice“, alors que l’avis qui leur avait été transmis l’évoquait clairement dans sa 2e partie?
– Comment un juriste, devenu président du Conseil d’État, peut-il continuer à plaider en faveur du „Heescheverbuet“ de la Ville de Luxembourg devant le Tribunal administratif, alors que l’avis fourni par son étude met en question la conformité constitutionnelle d’un tel règlement communal?
– Pourquoi le Tribunal administratif a-t-il préféré le „défaut d’intérêt à agir“ à un jugement sur le fond, alors que l’essence de la justice consiste à veiller au respect des lois?
En tant que citoyen, je reste perplexe quant au fonctionnement de nos institutions. Pour l’instant, deux mendiants en font les frais.