Votre panier

«On manque de modèles»

Nous sommes au XXI siècle et pourtant l’égalité salariale, les postes de direction et l’entrepreneuriat, faute d’un manque d’accès au capital, restent encore difficilement accessibles aux femmes. D’autant plus lorsque celles-ci ne sont pas blanches. «Dans le monde entier, après des décennies de militantisme et des dizaines de lois sur l’égalité de rémunération, les femmes n’ont toujours droit qu’à 80 centimes pour chaque dollar gagné par les hommes. Ce chiffre est encore plus bas pour les femmes avec enfants, les femmes racisées, les réfugiées et les migrantes ou les femmes en situation de handicap. (…) D’après l’analyse du Forum économique mondial, il faudrait 257 ans pour combler cet écart», avait rappelé le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans son message passé à l’occasion de la journée internationale de l’Égalité de rémunération, le 18 septembre dernier.


Elles étaient nombreuses (dans la limite imposée par les restrictions sanitaires) à être venues entendre les précieux conseils de ces femmes qui ont réussi à s’imposer.

Afin d’aider ces femmes à reprendre leur pouvoir et à oser mettre en œuvre leur projet entrepreneurial, l’association féministe et antiraciste Lëtz Rise Up a donc décidé de lancer le «Peanut Project», une série de conférences destinée à permettre aux femmes racisées d’échanger avec des entrepreneuses à succès issues des minorités ethniques et raciales.
Après une première session sur le thème «Confiance et leadership au féminin» en novembre dernier, une deuxième s’est tenue samedi à la Chambre de commerce de Luxembourg, cette fois-ci sur le thème «Femmes, pouvoir et argent». Au programme, des retours d’expérience d’intervenantes de marque : la femme d’affaires maroco-britannique Najwa El Iraki, fondatrice de AfricaDev Consulting et représentante pour l’Afrique du Nord et de l’Ouest du marché d’assurance Lloyd’s of London; Ahoua Eve Bakayoko, la créatrice de Miss Bak, marque de soins corporels naturels et éthique; et l’entrepreneuse, animatrice et chroniqueuse de télévision Hapsatou Sy.

Manque de confiance en soi

La difficulté pour les femmes à s’imposer dans un monde encore largement dominé par les hommes qui ne les prennent pas au sérieux ne vient pas de nulle part, comme le résume Najwa El Iraki : « Toutes les femmes ont été au moins une fois critiquées vis-à-vis de leurs émotions ou de leurs sentiments, et se sont entendues dire qu’elles “sur-réagissaient” ou étaient trop “sensibles”. Par exemple, lorsque la directrice de la gestion des risques chez Lehman Brothers a prévenu du risque d’effondrement de l’économie mondiale, elle s’est vu répondre qu’elle réagissait de façon excessive… » À quoi s’ajoutent le manque d’éducation financière (il y a quelques décennies encore, les femmes devaient obtenir l’accord de leur mari pour ouvrir un compte bancaire) et l’absence de modèles de réussite féminins et racisés. « Les hommes ne sont pas l’ennemi, mais le problème c’est le système les maintenant dans cette domination et nous excluant. Les femmes avec de l’argent et les femmes de pouvoir sont deux idées inconfortables dans notre société », ajoute la femme d’affaires, citant la romancière Candace Bushnell.
« Les femmes doivent être indépendantes financièrement », a renchéri Hapsatou Sy, mère de deux enfants et dont l’entreprise de distribution à domicile de sa marque de cosmétiques regroupe plus de 1 000 «beautypreneuses» et atteint plusieurs millions de chiffre d’affaires. « Mais je ne crois pas au déterminisme social, à l’entrepreneuriat des minorités ethniques ou des femmes. J’achète des produits s’ils sont bons, pas parce qu’ils ont été faits par une Noire. »
C’est dans son histoire familiale qu’Hapsatou Sy a puisé sa force de caractère, malgré les échecs qu’elle a pu rencontrer. « Je me suis battue pour faire honneur à mon père, immigrant sénégalais qui a décidé de tout quitter et a littéralement risqué sa vie pour offrir à ses huit enfants un meilleur avenir. Quant à mère, elle s’est mariée à 13 ans et ne savait pas écrire. Mais elle n’a jamais demandé d’argent à mon père. Je ne me voyais pas leur dire “C’est trop dur, je suis une femme et je suis noire”. En plus, ce que je suis, ce qu’ils m’ont donné, n’a pas à être un problème. »
Des propos inspirants qui ont rencontré un vif écho dans l’assistance. Mêmesil’entrepreneuriatn’estpasun long fleuve tranquille, toutes ont ressentiunregaindemotivation.L’admiration était palpable. Elles étaient en effetnombreuses(danslalimiteimposéeparlesrestrictionssanitaires)àêtre venues entendre les précieux conseils de ces femmes qui ont réussi à s’imposer. À l’instar d’Alice, qui travaille actuellement au sein de Médecins du monde mais espère aussi pouvoir créersapropremarquedeprêt-à-porter éthique. « Je suis venue pour avoir des astucespourdevenirentrepreneuseet parce que j’avais besoin d’exemples. On manque de modèles. J’ai un peu peur de me lancer en plus. Je sais d’expérience et pour l’avoir beaucoup constaté autour de moi qu’on neportepasforcémentattentionàce que l’on fait ou à ce qu’on veut réaliserentantquefemmeracisée.J’espère aussi étoffer mes contacts. »
« La confiance en soi, c’est la clé », a martelé Ahoua Eve Bakayoko. « La plupart des gens vont vous sous-estimer. Il faut donc s’instruire pour maîtriser son sujet, prendre du temps pour soi également afin d’être dans un bon état d’esprit, et ensuite, s’imposer par sa seule présence. Si vous ne croyez pas en vous, qui va le faire? »
La prochaine master class du «Peanut Project» se tiendra le 8 mai 2021 et aura pour thème «Conciliation entrepreneuriat-famille». Les entrepreneuses Imane Belmkaddem, Myriam Taylor et Jennifer He Olding viendront partager leur expérience et dispenser de précieux conseils.

Des bons alimentaires pour les sans-papiers

Si Irène Jamsek, la coordinatrice des épiceries sociales de Caritas, confirme que les Caritas Buttek ont vu le nombre de leurs bénéficiaires augmenter en 2020 par rapport à 2019, elle ne s’aventure pas pour autant à dire que les pauvres sont forcément plus nombreux du fait des conséquences de la crise sanitaire.
Trois raisons expliqueraient en fait cette augmentation d’après la responsable Caritas. Tout d’abord, plusieurs nouveaux bénéficiaires ont été orientés vers les épiceries sociales via la Corona Helpline, mise en place d’avril à août, « des personnes qui n’avaient peutêtre pas entendu parler de cette aide avant la pandémie », souligne Irène Jamsek. La fermeture des épiceries de la Croix-Rouge a également contribué à la redirection vers celles de la Caritas d’un grand nombre de bénéficiaires. Enfin, avant le Covid, « seules les personnes résidentes et ayant un matricule luxembourgeois avaient accès aux épiceries sociales », rappelle la coordinatrice, mais, à la demande de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI), l’accès a aussi été autorisé aux travailleurs vivant dans le pays sans autorisation de séjour.
Cette initiative a été lancée dès le mois d’avril par l’ASTI, face à la fermeture notamment des restaurants et cafés où travaillent souvent au noir des personnes en situation irrégulière, comme le rappelle Sergio Ferreira, le porte-parole de l’ASTI : « Ces personnes n’ont pas droit au chômage et n’avaient donc plus aucune source de revenu. Comme nous n’avons pas eu gain de cause auprès des autorités luxembourgeoises pour les aider, nous avons contacté Caritas et la Croix-Rouge pour leur permettre d’accéder aux épiceries sociales par le biais de bons alimentaires remis par l’ASTI. Nous avons donc lancé un appel aux dons destiné à financer ces bons, qui étaient indispensables, puisque ces personnes, n’ayant plus de revenus, ne pouvaient pas effectuer des achats même dans une épicerie sociale. »
Un appel qui sera entendu: grâce aux dons et au soutien financier de l’Œuvre Grande-Duchesse Charlotte, l’ASTI a pu distribuer l’équivalent de 36 000 euros entre le 10 avril et le 17 juillet. L’opération, réitérée du 6 octobre au 15 décembre, a permis de distribuer à nouveau pour 21 300 euros de bons alimentaires à 90 personnes, représentant 35 ménages et 35 enfants.

Régularisation exceptionnelle
Sergio Ferreira attire toutefois l’attention sur le fait que le besoin est toujours présent. « Il y a toujours des gens qui s’adressent à nous. Nous allons faire notre possible pour les aider. Nous avons lancé des appels aux dons auprès des entreprises, mais sans grand succès jusqu’à présent. Le fait que ce sont des sans-papiers fait peur. Mais derrière ce terme, il y a des gens, des familles, des drames. »
Mais dans le fond, plus qu’une prolongation de l’accès aux épiceries sociales et à l’aide alimentaire, l’ASTI souhaiterait une régularisation exceptionnelle de ces sans-papiers. « Ils pourraient être régularisés sans que cela représente une charge déraisonnable. Au contraire, ils pourraient devenir des contribuables. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux cotisent déjà pour l’assurance maladie volontaire. »
Quant au fait que ces aides et une régularisation puissent créer un «appel d’air», comme l’affirment les opposants, Sergio Ferreira balaie d’un revers de la main cet argument : « L’appel d’air est un mythe. Les précédentes régularisations n’ont pas créé une ruée. Il faut que l’Europe développe des voies légales d’immigration pour éviter les passeurs et la précarité. Mais surtout, nos législations, notre ouverture ou notre fermeture face à l’immigration, ont un impact extrêmement ténu sur les flux migratoires. Car ce qui est déterminant, ce ne sont pas les conditions d’accueil, mais la situation dans le pays d’origine. »
T. S.

Bien manger, même quand on n’a rien

Lundi 14 h 30, à l’angle de la rue Michel-Welter à Luxembourg. Plusieurs personnes attendent patiemment, masque sur le nez et sacs de course au pied, devant l’épicerie sociale de Caritas. Celle-ci a ouvert ses portes il y a une demi-heure à peine, mais les bénéficiaires se succèdent déjà dans un ballet incessant pour accéder au plus grand choix de produits. Premier arrivé, premier servi.
Ici, on retrouve quelque 300 produits de base, vendus trois fois moins cher en moyenne que dans les grandes surfaces. Sur les étagères en bois qui courent le long du mur une fois le seuil de l’épicerie franchi, on retrouve les denrées non périssables et les conserves, telles que les paquets de pâtes, le sucre ou l’huile. C’est le stock le plus important de l’épicerie, les étagères dont il faut s’assurer qu’elles ne sont jamais vides, afin d’« être sûr que les bénéficiaires ne manquent pas d’aliments de base, car on ne peut pas être approvisionné dès que les rayons se vident comme dans les grands magasins », explique Irène Jamsek, la coordinatrice des Caritas Buttek. Et puis, des rayons pleins donnent moins le sentiment d’être dans une épicerie sociale. « C’est une forme de respect vis-à-vis des bénéficiaires. Tout comme le fait de ne pas leur fournir des tomates abîmées ou des carottes flétries. »
Fruits et légumes frais trônent d’ailleurs au centre de la petite échoppe, déjà disposés dans des sacs en papier, crise sanitaire oblige. Aubergines à 1,17 euro le kilo, 0,42 centime le kilo de bananes… Bien manger à un prix accessible reste le credo des épiceries sociales.
Sur d’autres rayons, il y a des invendus de la veille de la boulangerie Fischer, un peu de pain, quelques viennoiseries. De temps en temps, on peut y trouver des produits un peu plus «exceptionnels» pour l’épicerie. Aujourd’hui, ce sont des paquets de chips et de petits gâteaux. Au fond du magasin, les produits d’hygiène et d’entretien de la maison. Dans les frigos, les produits frais bien sûr, mais surtout des aliments à date de consommation courte comme des viandes, des poissons, quelques plats traiteurs. Ces articles sont vendus entre 20 centimes et un euro. Une aubaine pour des personnes qui n’ont pas accès à ces produits plus luxueux mais aussi une manière de lutter contre le gaspillage alimentaire. Les amateurs pourront ainsi prendre des noix de SaintJacques à consommer ce jour. Elles seront vendues un euro au lieu des 8,85 euros affichés sur la barquette.


Défi relevé pour Irène Jamsek, coordinatrice des épiceries sociales Caritas, et ses équipes : les Caritas Buttek ont su rester ouvertes depuis le début de la crise sanitaire.

Juste à côté des frigos, des étagères mettent en avant les produits entièrement gratuits du moment : du lait, quelques gels douche, du papier-toilette. Et aussi des masques, si indispensables en ces temps de pandémie. « Une fois par mois, nous proposons des articles gratuits financés par le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD). Ils peuvent être pris en plus des 25 euros hebdomadaires alloués aux bénéficiaires. »

Vingt-cinq euros par semaine
Une assistante sociale analyse la situationfinancièredeséventuelsbénéficiaires. « Elle va regarder le montant qui rentre et tout l’argent qui sort. Si au final une personne seule dispose de moins de 400 euros, celle-ci pourra avoir accès à l’épicerie sociale », explique Irène Jamsek. Elle se verra alors accorder une carte d’accès d’une validité de trois mois maximum, renouvelable si nécessaire.
Le montant alloué est le même pour tout le monde: 25 euros par personne et par semaine. Cela peut paraître peu, mais en fait, « ces 25 euros équivalent à 75 euros dans une grande surface du fait du prix moins cher des produits », indique Irène Jamsek. Une réduction rendue possible grâce au travail de la «Spëndchen», la centrale d’achat des épiceries sociales de Caritas (ainsi que celles de la Croix-Rouge), qui a la charge de négocier les prix au plus bas avec les fournisseurs.
Au passage en caisse, deux possibilités pour les bénéficiaires : soit ils payent en espèces, soit, pour ceux qui n’ont absolument plus de moyens, le montant est enregistré et sera refacturé aux services sociaux, toujours à hauteur de 25 euros hebdomadaires. « On encourage les personnes à venir chaque semaine , précise Irène Jamsek. Si une famille de cinq personnes décide de venir une fois avec l’équivalent de trois semaines de bons, nous n’aurons plus de marchandise pour les autres! »
Voilà plus de dix ans maintenant que les Caritas Buttek viennent en aide aux plus défavorisés. Elles sont quatre dans le pays, Luxembourg donc, mais aussi Esch, Diekirch et Redange. À l’image de la capitale, le multiculturalisme est très visible ici. Ce qui a poussé Caritas à adapter un peu les produits. « On ne peut pas faire du cas par cas bien sûr, mais on essaie d’avoir plus de poulet et de fruits et légumes par exemple. »
Seul fait établi dans ce public très diversifié qui se rend à l’épicerie sociale : en général, les personnes âgées sont bénéficiaires sur le long terme, ce qui est moins le cas pour les plus jeunes, comme l’explique Irène Jamsek: « On peut supposer que la situation d’un individu plus jeune pourra évoluer, soit parce qu’il trouve du travail ou un travail mieux rémunéré, soit parce qu’il trouve un conjoint
Derrière l’image d’un pays riche, il y a donc beaucoup de gens qui peinent à s’en sortir. « Ce n’est pas évident pour les familles monoparentales par exemple. Beaucoup de nos bénéficiaires travaillent, mais n’arrivent pas à joindre les deux bouts, notamment à cause des loyers. » C’est le cas de Nilzete, une Brésilienne qui vit depuis treize ans au Luxembourg. Cette maman solo de 39 ans travaille, mais ne gagne pas assez pour couvrir ses besoins et ceux de sa fille de trois ans. « Le loyer est cher! Venir ici me soulage énormément, surtout pour les couches. »
Rachel, elle, a 52 ans. La vie n’a pas épargné cette Luxembourgeoise mère de trois enfants aujourd’hui adultes, divorcée de son conjoint. « Je viens ici depuis que j’ai le RMG. Je travaillais dans le nettoyage, mais il y a cinq ans, j’ai fait une dépression nerveuse et comme j’étais en période d’essai, j’ai été licenciée. J’ai touché le chômage, puis pendant un an et demi, j’ai vécu sans rien, quasiment comme une SDF. » Depuis qu’elle a eu accès à l’épicerie, Rachel vient toutes les semaines se fournir en aliments de base, mais aussi trouver un peu de chaleur humaine « Déjà, ça m’aide beaucoup, mais en plus j’adore venir ici, car les bénévoles sont super sympas, on discute toujours un peu », ajoute-t-elle, les yeux qui brillent.
Plus qu’une simple épicerie, c’est aussi en effet un moment de réconfort. Même si la pandémie est venue y mettre son grain de sel: « Avant, nous avions un café Stuff, c’était vraiment l’occasion pour les personnes isolées de trouver de la compagnie. On organisait aussi des ateliers parents-enfants, couture, informatique, cuisine… Nous avons dû tout mettre en suspens» , déplore la coordinatrice.
La pandémie a aussi eu un impact sur les ressources humaines, puisque les épiceries étaient tenues par des bénévoles dont beaucoup étaient âgés ou à risque, et qui se sont donc écartés le temps de la crise. Mais Caritas a malgré tout réussi à rester ouvert, en ayant notamment recours au personnel sous contrat ou sous convention, pour le plus grand soulagement d’Irène Jamsek. « C’est une fierté d’avoir pu rester tout le temps ouvert, on touche du bois pour que ça continue! »

«Je ne m’occupe pas des assistants parlementaires»

«Mon rêve de Grande Région, c’est de mener encore plus de projets concrets ensemble et de faire en sorte que les citoyens vivent encore mieux dans cette grande région à laquelle ils s’identifient.» Corinne

Cahen s’explique sur les différents sujets qui la placent au centre des discussions, de l’affaire Semedo aux critiques de l’opposition concernant son bilan pendant cette pandémie, en passant par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne relatif à la réforme des allocations familiales.

Que s’est-il passé au sein du DP quand vous avez eu vent de l’affaire Monica Semedo?
Corinne Cahen: Je ne suis pas dans les rouages bruxellois et strasbourgeois, si bien que c’est Monica Semedo elle-même qui m’a contactée en décembre et je l’ai écoutée. Je ne pensais rien, ni dans un sens ni dans un autre. Je n’ai pas du tout compris au début ce qui s’était passé, je l’avoue. Je ne disposais que de la version de Monica, qui m’expliquait que la procédure n’était pas correcte. Je ne connaissais pas l’envergure du dossier.

La démission des trois assistants ne vous a pas mis la puce à l’oreille?
En tant que présidente du parti, je ne m’occupe pas des assistants parlementaires, ni à Bruxelles ni à Luxembourg, car nous avons une séparation stricte entre la fraction et le parti. Je pense que les assistants qui ont démissionné ont bien fait de se plaindre des faits de harcèlement auprès des instances du Parlement européen.

Que s’est-il passé entre l’instant où le secrétaire général du DP, Claude Lamberty, annonce que la lettre d’excuses de Monica Semedo clôt l’affaire et la convocation une semaine plus tard d’un comité des sages appelé à juger si elle peut encore prétendre être membre du parti?
L’affaire était close à ce moment-là parce que l’on attendait que les organes du parti se réunissent. On est dans un pays démocratique avec des lois. On est un parti démocratique qui a des statuts avec un bureau exécutif et un comité directeur qui se réunissent tous les mois. Il était évident que ce n’était pas au secrétaire général seul ou à la présidente seule de prendre une décision. Il appartient aux organes du parti de le faire en respectant les statuts.

Depuis, Monica Semedo a démissionné du DP et vous souhaiteriez récupérer son mandat…
On m’a posé la question, effectivement, et j’ai répondu que oui. J’ai eu Monica au téléphone et elle m’a dit qu’elle comptait le conserver et c’est son droit. C’est son mandat, c’est son siège, mais je ne vais pas dire que le parti n’aimerait pas le récupérer.

L’opposition vous reproche votre inertie dans la gestion de la pandémie au sein des maisons de soins et de retraite et l’absence d’un plan national pour les accompagner pendant cette crise. Que lui répondez-vous?
C’est complètement faux. Nous travaillons tous les jours afin de trouver le juste équilibre entre protection contre le virus et liberté individuelle. Nous avons fait et faisons des tas de choses, aussi bien pour les personnes âgées que pour les personnes vulnérables et celles en situation de handicap.
Nous travaillons étroitement avec la Copas, les acteurs sur le terrain. Nous vivons une crise sanitaire, et nous avisons par rapport aux situations, aux évolutions de la recherche et surtout par rapport aux personnes concernées. Nous travaillons étroitement aussi avec la direction de la Santé. Si parfois des maisons de retraite se sont fermées vers l’extérieur, c’était justement pour ne pas enfermer les résidents négatifs dans leurs chambres. Lors du premier confinement, la situation était terrible à vivre pour les familles qui n’avaient plus accès aux leurs.
Nous travaillons énormément, notre souci n’est pas l’organisation de conférences de presse. D’ailleurs, lorsqu’on fait des conférences de presse, on nous reproche de trop nous mettre en avant, et quand on n’en fait pas, on nous accuse de ne pas travailler. Moi je vois qu’énormément de choses ont été faites et par le ministère et surtout par les personnels dans les maisons de soins et de retraite. Je pense aussi au stock de médicaments dans les établissements, aux médecins généralistes qui assurent désormais des gardes permanentes, aux équipes mobiles pour les tests et les vaccins, etc.

Vous avez cité la Copas, qui est l’organisation faîtière des établissements de retraite et de soins. Souhaitait-elle l’élaboration d’un tel plan?
Il y avait surtout la demande de ne pas avoir un plan valable pour tous ou des recommandations standard, car on ne peut pas enfermer des gens à Vianden parce qu’il y a des gens contaminés à Differdange.

Que retenez-vous de la façon dont la crise a été gérée dans les maisons de retraite? Aurait-il fallu œuvrer différemment?
Je pense qu’il faut travailler au cas par cas. Les besoins, les désirs des personnes âgées ne sont pas tous les mêmes. Il y en a qui comprennent très bien les gestes barrières, d’autres sont complètement dépendantes ou démentes et ne comprennent pas les gestes barrières, etc. Quand on vit dans une communauté, on est responsable pour soi-même mais aussi pour les autres. Il faut éviter par tous les moyens que le virus ne se propage dans un établissement et éviter d’abord qu’il y entre.

Autre sujet d’actualité qui entre dans vos compétences : la réforme de la loi sur l’intégration. Que souhaiteriez-vous changer?
On travaille effectivement sur une nouvelle loi relative à l’intégration qui doit remplacer celle de 2008 devenue désuète. Le vivre-ensemble a changé depuis au Luxembourg et il faut réviser par exemple la façon dont fonctionnent les commissions d’intégration ou encore le Conseil national pour étrangers, qui lui ne fonctionne pas du tout pour l’instant.

Comment donner au Conseil national pour étrangers la place qui doit lui revenir dans un pays composé pour moitié de non-nationaux?
Il faut redéfinir ses missions et revoir sa composition. La composition d’après les nationalités n’est plus d’actualité et il faut faire remonter les missions du terrain. Je pense particulièrement aux communes, car c’est là que le nouvel arrivant est accueilli en premier lieu. On peut lui remettre les clés de l’intégration en lui indiquant par exemple toutes les activités de son nouveau lieu de résidence, lui donner la liste des clubs sportifs, etc. L’intégration, ça se fait au quotidien, mais ne doiton pas parler plus justement de vivre-ensemble?

Nous travaillons énormément, notre souci n’est pas l’organisation de conférences de presse

Vous dites que le vivre-ensemble a changé depuis 2008. Dans quel sens?
Nous sommes aujourd’hui à presque 50 % de non-Luxembourgeois, la double nationalité a été introduite, nous avons quelque 23 000 nouveaux habitants chaque année, c’est énorme. Nous avons aussi plus de frontaliers, notre attitude vis-à-vis d’eux a changé et j’aimerais clairement que dans cette nouvelle loi nous incluions les frontaliers, qui font partie de notre quotidien. Ils ne viennent pas seulement travailler au Luxembourg, ils viennent aussi pour leurs loisirs, pour leurs achats et autres. Les entreprises sont donc aussi un acteur important dans l’organisation du vivre-ensemble.

«Le vivre-ensemble a changé au Luxembourg et il faut réviser par exemple la façon dont fonctionnent les commissions d’intégration ou encore le Conseil national pour étrangers, qui lui ne fonctionne pas du tout pour l’instant.»

Quel serait selon vous le fonctionnement idéal du Conseil national pour étrangers?
Il faut qu’il soit une émanation des commissions consultatives de l’intégration et qu’il leur vienne en aide pour le vivre-ensemble. Je ne suis pas d’avis qu’il doive aviser les lois, puisqu’elles sont les mêmes pour tout le monde, Luxembourgeois ou pas, fort heureusement. Les syndicats et les chambres professionnelles, qui jusqu’ici sont toujours représentés au sein du CNE, se chargent déjà d’aviser les lois. Je mène une grande discussion sur la future loi sur l’intégration et donc aussi le rôle futur du CNE. Nous avons questionné toutes les communes, associations et autres acteurs pour avoir leur avis sur le vivre-ensemble et sur le besoin d’un cadre légal. Nous avons reçu 70 avis qui sont consultables sur le site internet du ministère. Il y a des groupes de travail qui planchent sur le sujet et nous espérons pouvoir bientôt aller sur le terrain pour discuter avec les gens. Avec la pandémie, ce n’est pas simple actuellement.

Une autre actualité vous place encore sur le devant de la scène. Elle concerne le récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qui a jugé discriminatoire la réforme sur les allocations familiales qui exclut les enfants non biologiques des travailleurs frontaliers. Comment comptez-vous rectifier le tir?
Nous avons analysé cet arrêt et mis sur papier différents scénarios. En ce moment, nous pensons qu’il n’y en a qu’un qui nous permette d’être en règle avec le droit européen. Ce n’est pas simple. Cette solution consisterait à relier l’octroi de l’allocation au travailleur affilié à la sécurité sociale et non plus à l’enfant. Mais je suis ouverte à toute suggestion, nous sommes en pleine discussion et si quelqu’un a une meilleure idée, elle est la bienvenue. Les députés sont encore en train d’étudier les tenants et les aboutissants de ce dossier.

En quoi était-ce compliqué de continuer à verser les allocations aux enfants non biologiques, comme c’était le cas avant la réforme de 2016?
Comment pouvons-nous avoir la preuve que le travailleur subvient à l’entretien de l’enfant qui habite sous son toit mais qui n’a aucun lien de parenté avec lui?
Ni même avec le conjoint parfois. C’est peut être plus facile à vérifier avec nos pays voisins, mais comment fait on pour tous les autres pays? C’est très compliqué. En France, en plus, les enfants peuvent avoir plusieurs adresses différentes.

La ministre à la Grande Région que vous êtes a-t-elle un idéal quant à l’avenir de ce territoire?
Le Luxembourg est le seul pays qui fait partie de la Grande Région. Lorsque les frontières ont été brutalement fermées lors du premier confinement, beaucoup de gens ont réalisé à quel point c’était difficilement vivable. Il ne s’agit pas seulement des travailleurs frontaliers, mais aussi des familles qui étaient séparées de part et d’autre d’une frontière. Mon rêve de Grande Région, c’est de mener encore plus de projets concrets ensemble et de faire en sorte que les citoyens vivent encore mieux dans cette grande région à laquelle ils s’identifient. Nous avons dans notre région des avantages par rapport à d’autres agglomérations, à commencer par quatre pays qui se chevauchent. Cela est notamment intéressant pour les start-up qui se lancent et qui peuvent directement toucher quatre pays différents. Nos importants projets dans notre Grande Région sont, à côté de la pandémie et des questions de santé, l’éducation, le transport, la culture, l’intelligence artificielle ou encore les technologies propres. Nous parlons de projets très concrets.

En première ligne 

Antónia Ganeto, porte-parole à toute épreuve

Jérôme Quiqueret tageblatt 27 janvier 2021
Porte-parole du réseau afrodescendant Finkapé, Antónia Ganeto a obtenu la condamnation pour incitation à la haine d’un internaute de Schuttrange qui l’avait injuriée à l’occasion de la grève des femmes du 7 mars dernier. Elle n’en ressort qu’à moitié satisfaite mais convaincue de l’intérêt de la démarche.
C’est un pas que ses parents n’auraient pas pu franchir. C’est un jugement qui prouve que la société bouge et que la justice la suit, avec son décalage habituel. C’est la fin d’un combat qui s’achève par une victoire, qui devrait en appeler d’autres, et des combats et des victoires. La condamnation à 1.500 euros d’amende rendue le 6 janvier par le tribunal de Luxembourg à l’encontre d’un sexagénaire de Schuttrange pour incitation à la haine à l’égard d’un groupe de personnes en raison du sexe et de l’origine affirme qu’on ne peut pas écrire ce qu’on veut impunément. Et surtout pas commenter ainsi des images de la grève des femmes, dans laquelle elle apparaît au premier plan: „Ma dei wouschtketien wenn et hinnen an letzebuerg net gudd genug ass dann ab op den mound oder an den kongo do kennen se den aafen kniet an d’schwänz machen haaptsaach weit fort.“
Et pourtant! Antónia Ganeto ne peut voir dans ce jugement qu’une victoire en demi-teinte. Certes, ces paroles sont „débanalisées“ par la condamnation. Mais elle aurait aimé que les juges suivent le réquisitoire du ministère public, en infligeant une peine de prison avec sursis (le Parquet proposait trois mois). „C’était l’occasion de statuer un exemple“, d’autant plus que l’insulte visait la porte-parole d’une association, une multiplicatrice. Mais Antónia Ganeto regrette encore davantage que son agresseur verbal ne soit pas contraint de suivre une formation auprès d’une association de déradicalisation telle que respect.lu.
Eviter la récidive est pourtant l’obsession de la justice. Et en pareil cas, cela mérite un travail de fond. „Il est vraiment nécessaire d’influer sur ces états d’esprit pour changer vraiment ces mentalités et pour envoyer un signal.“ Ganeto est bien placée pour défendre la force des mots et de la connaissance pour empêcher les situations de conflit. L’éducation interculturelle est son métier depuis un quart de siècle et la fin de ses études universitaires en communication. Elle dirige le Centre d’éducation interculturelle (IKL). Et c’est elle qui fournit depuis quelques années à la police grand-ducale les compétences interculturelles nécessaires à la réalisation de sa mission.

„L’enfant en moi
s’est réveillée“

Ce stage aurait surtout apaisé Antónia Ganeto la victime, plus que l’activiste. La peine n’est pas à la hauteur du processus douloureux que les insultes puis la plainte lui ont fait traverser. Les mots ont eu un impact psychologique mais aussi physique. Nausées, insomnies, pleurs à répétition ont accompagné le trajet jusqu’à la barre du tribunal. “L’enfant qui était en moi s’est réveillée. Je me suis souvenue de toutes les humiliations que j’ai subies. Et j’ai compris que ma réaction physique était similaire à une réaction post-traumatique. Je ne réagissais pas à cet homme-là qui, somme toute, a écrit des injures sur le net qui ne constituent pas la fin du monde. Je n’ai pas subi de violence physique. Mais ça a réveillé tous ces souvenirs. Ça m’a rendue encore plus consciente de l’impact que le racisme direct, que j’ai connu en tant qu’enfant, mais aussi le racisme structurel, que j’ai longtemps occulté, ont eu sur toute ma vie.“
Dans le dossier pédagogique qui accompagne depuis 2018 le documentaire de Fränz Hausemer „De schwaarze Mann – un Noir parmi nous“, Antónia Ganeto témoignait de cette enfance, débutée au Cap-Vert, où l’héritage colonial s’exprimait dans „des rivalités anecdotiques entre certains habitants des îles du Sud, moins soumis au métissage, et d’autres des îles du Nord, qui prétendaient être plus civilisés, parce que plus près du Blanc“. Elle est arrivée en 1974, à 5 ans, à Junglinster pour rejoindre son père avec ses frères et sœurs. Quelques années plus tôt, dans les journaux de l’époque, les courriers de lecteurs se sont multipliés pour que l’on exclut le Cap-Vert de l’accord de main-d’œuvre à signer avec le Portugal. Leur argument est que le Luxembourg ne peut pas se permettre d’importer le problème racial. Comme s’il était une fatalité.
Cette vision du monde perdure. Et Antónia Ganeto a revécu en 2020 ce qu’elle avait subi dans les années 70, l’assignation à une couleur de peau et aux clichés qui lui collent. „J’étais en colère et désarmée parce que je subissais quelque chose que je trouvais foncièrement injuste, d’être mise ainsi dans une case, qu’on ne me voie seulement par ma couleur et que j’en subisse les conséquences.“
L’injustice consiste notamment à avoir été prise à partie pour un discours qu’elle n’a jamais tenu. Au moment de la photo qui a suscité les commentaires haineux sur internet, elle tenait en portugais le même discours – mêlant revendications générales et informations sur le déroulé de la manifestation – que trois femmes blanches avant elle. Ces dernières avaient utilisé le même porte-voix, celui prêté par le collectif artistique „Richtung 22“, sur lequel se lisait „Lëtzebuerg, du hannerhältegt Stéck Schäiss“, le titre provocateur d’une de leurs pièces de théâtre tournant en dérision le nation branding. Mais c’est la photo de sa tête derrière ce porte-voix accolée à une deuxième photo montrant la bandeole „Al wäiss Männer? Brauch kee Mënsch“ du même collectif qui ont été insidieusement publiées dans un groupe Facebook douteux, pour déclencher la haine.
Il y a dans cette accusation  l’„incroyable déclic“ d’associer la personne noire à ces mots. A ces mots dont elle craignait qu’ils lui fassent perdre toute crédibilité dans son travail quotidien et qu’on lui reproche dans la rue. A ces mots qu’elle n’aurait pas pu écrire. Avant tout parce qu’elle ne les aime pas. Ensuite parce que la liberté d’expression n’est pas la même pour toutes et tous. Comme le rappelle la pensée intersectionnelle, les discriminations, de genre, d’origine sociale, de couleur de peau se cumulent, elles ne s’équivalent pas. C’est ce dont a pris acte Ganeto en 2019 en cofondant le réseau afrodescendant Finkapé et c’est ce que signifiait la présence des afrodescendantes en un bloc distinct dans le défilé de la grève des femmes du 7 mars pour porter leurs propres revendications.

Accompagner les victimes

Cette prise de parole inédite aura donc provoqué des commentaires négatifs, dubitatifs souvent, ouvertement racistes parfois, apportant la meilleure preuve que le racisme est bel et bien un problème au Luxembourg. Quant à elles, les mentions du singe et du Congo, qu’à la barre le sexagénaire condamné a d’ailleurs dit tenir de son père, auront été la plus éclatante illustration du fait que l’héritage colonial pèse sur les représentations d’une partie de la population. Enième ironie d’une histoire qui n’en manque pas: dans les jours précédant le défilé, Ganeto expliquait, à qui voulait bien l’entendre, que le racisme structurel pouvait s’expliquer par le passé colonial de Luxembourgeois au Congo belge autant que par l’existence de zoos humains à Luxembourg au début du 20e siècle.
La prise en compte du caractère structurel du racisme est la condition primaire pour entendre et accéder à une revendication qui tient à cœur à Antónia Ganeto à l’issue de son expérience judiciaire. Elle estime que la Justice devrait mettre en place un accompagnement psychologique particulier à destination des afrodescendant.e.s,  au sens où il devrait être conduit par des personnes racisées, dont l’expérience et la conscience du racisme faciliteraient la confiance mutuelle et l’empathie. Ce serait rendre le parcours judiciaire le moins douloureux possible et faciliter le dépôt de plaintes auquel Ganeto invite toute personne victime de racisme. La justice a malgré tout démontré qu’elle savait apporter sa contribution à ce combat pour une société égalitaire. Il est temps d’en profiter.
Ça m’a rendue
encore plus consciente de
l’impact que le
racisme direct, que j’ai connu en tant qu’enfant, mais aussi le racisme structurel, que j’ai longtemps occulté, ont eu sur toute ma vie.

Les Frontalières «emmènent avec elles la vie qu’elles mènent au Luxembourg»

Ils sont plus de 200 000 à faire les «pendulaires» entre leur pays et le Luxembourg. Ce phénomène économique, engagé dès les années 1970, s’est accentué comme nulle part ailleurs en Europe depuis la fin des années 1990. La metteuse en scène Sophie Langevin, en partenariat avec l’ASTI et le Liser, leur donne la parole à travers quatre femmes : Les Frontalières .

Une pièce de théâtre sur le phénomène frontalier, c’est une première au Grand-Duché. D’où vous est venue l’idée?
Sophie Langevin : La pièce est une commande de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI), tout simplement. À titre personnel, je vis à Luxembourg, mais avant de travailler sur le sujet, je n’en cernais pas bien l’ampleur. Je voyais les files de bouchons en sens opposés, avec des gens souvent seuls à l’intérieur. J’avais lu des articles sur les problèmes de mobilité auxquels les frontaliers sont confrontés, ou des thèmes concrets du genre. Mais je n’aurais pas eu l’idée d’en faire une pièce, alors que le sujet s’est révélé fécond.

Vous évoquiez l’envie d’une “confrontation entre l’intime et le général” pour aborder le sujet. Comment avez-vous travaillé?
Avec beaucoup de rencontres. Nous avons quatre comédiennes sur scène mais leurs parcours de vie synthétisent plus de 40 frontalières rencontrées! Ce travail, mené en partenariat avec Christophe Sohn, chercheur au Liser, nous a vraiment éclairé. Il y a eu des recherches plus documentées et plus classiques, sur le phénomène frontalier. Mais les rencontres nous permettent cette confrontation avec l’intime, justement. La plupart des entretiens se sont déroulés avant le Covid. Mais j’ai également pu recueillir des témoignages sur une phase importante de la crise sanitaire : les frontalières qui se sont provisoirement installées en chambre d’hôtel au Luxembourg, pour continuer à faire fonctionner le système hospitalier, à l’appel du gouvernement.

Quels métiers font-elles, vos quatre comédiennes, pour illustrer ces parcours de vie?
Il y a une retraitée qui était infirmière, une avocate, une secrétaire de direction au parlement européen et une coiffeuse.

Isabelle Pigeron, chercheuse à l’Université de Luxembourg, expliquait récemment que les frontalières ne représentent “que” 37,6 % de l’ensemble des frontaliers français (33 % chez les Belges et Allemands).
La vie de famille repose encore sur elles, le constat est implacable. Comment gérer cette dimension avec de tels problèmes de mobilité? C’était une première approche intéressante. Plus globalement, une approche sur un sujet neuf d’un point de vue artistique, via le regard de femmes : ça me parlait.


La metteuse en scène Sophie Langevin livre avec la pièce de théâtre documentaire Les Frontalières «une approche sur un sujet neuf d’un point de vue artistique, via le regard de femmes».

Lors d’une récente confé rence, l’ASTI rappelait que les frontaliers étaient déjà 50 000 en 1994. Plus de 25 ans après, nous allons découvrir les frontaliers avec plus d’intimité. C’est long, non?
L’ASTI porte cette dimension de vivre-ensemble sous toutes ces dimensions. Elle nous pose la question : comment créer une société riche de toute cette diversité? Cette affirmation-là n’est pas juste un slogan. Cela pose la question de “comment rendre tous les membres de la société visible”. Dont les frontaliers, qui vivent à cheval sur deux territoires, avec plus d’élasticité.

Nous avons quatre comédiennes sur scène mais leurs parcours de vie résument ceux de plus de 40 frontalières rencontrées!

Christophe Sohn, le chercheur qui vous a accompagnée, décrit le frontalier comme celui qui “étire la frontière, la désagrège et en emporte une partie avec lui”. C’est cela que raconte les histoires de vos quatre personnages?
Ces femmes emmènent avec elles la vie qu’elles mènent au Luxembourg.
Ce mouvement est particulier. On pourrait parler d’un phénomène de trajet connu entre une périphérie et un pôle central. Mais la frontière est avec un autre pays, d’autres cultures, d’autres mentalités. Le résident de la banlieue ne change pas de pays tous les jours, lui.

Ne retrouvet-on toutefois pas un effet banlieue? Une coiffeuse qui vient de la banlieue parisienne jusqu’à Paris tous les jours peut avoir un sentiment d’habitante de seconde classe. Est-ce le cas avec le Luxembourg?
On retrouve parfois ce sentiment aussi chez certains frontaliers. Ils viennent de régions plus démunies, avec ce désir de vivre avec les mêmes standings et les mêmes rêves qu’au Luxembourg. La grande maison, le jardin… Tout cela participe à cet imaginaire. C’est parfois un moteur très fort pour certains d’entre eux, ils sont poussés par ce standing, peu importent les sacrifices. On ne peut pas ignorer cet aspect-là.

Les frontaliers souffrent-ils de ce prisme unique de la mobilité? Votre pièce veut monter des histoires humaines, alors que l’on parle d’eux surtout à cause des bouchons sur l’autoroute…
La mobilité a quand même une dimension très forte. L’A31 bis, les problèmes de train… c’est un paramètre clef de la vie des frontaliers, puisqu’il constitue précisément un épuisement. Ça n’empêche pas que d’autres questions se posent comme le rapport au Luxembourg, à la langue luxembourgeoise ou encore au passage physique d’une frontière.

Quand vous parlez d’épuisement, on entend qu’il s’agit de vivre à moitié, entre deux pays. Y a-t-il une perte de sens exprimée?
Oui, le thème de la perte de sens transparaît dans certains témoignages. Nous aurons d’ailleurs une table ronde, le 31 janvier pour la représentation au Théâtre d’Esch, avec une improvisation sur les sujets qui travaillent les frontaliers. On se rend compte qu’il faut en parler avec une certaine délicatesse, il y a vite une sensibilité.

Le phénomène frontalier est un jeu avec trois frontières au Grand-Duché. Est-ce que cela induit des approches différentes?
Oui. Les Allemands n’ont pas le problème de la barrière de langue avec le luxembourgeois, alors que cela est souvent évoqué comme l’un des points de crispation, ou plutôt de frustration, par les autres nationalités. Les frontalières qui travaillent dans le commerce, par exemple, rencontrent beaucoup de difficultés. Les mentalités ne sont par ailleurs pas les mêmes, selon que la frontalière vienne de tel ou tel versant, et la perception des résidents luxembourgeois change aussi. Il n’y a pas un modèle de frontalier, bien entendu. Mais il y a des façons d’appréhender qui constituent parfois des chocs. Les comédiennes ont beaucoup travaillé sur les personnages! Au final, il faut le souligner, cela reste de l’interprétation, nos recherches et, surtout, du théâtre.
Les Frontalières, conception et mise en scène de Sophie Langevin.
Dimanche 31 janvier, au Théâtre d’Esch-sur-Alzette, à 14 h 30 et 17 h.

Transparence dans la gouvernance: le comité interministériel

Le comité interministériel pour l’intégration élargi à la société civile: nous y voilà. Le comité s’est réuni une première fois le 16 décembre 2020 et joue la transparence.

Le compte rendu est publié sur le site du Ministère de la Famille.

2 sujets essentiels y ont été présentés:

  • Le concept du Plan Communal d’Intégration  sera  repensé en profondeur: le Ministère de la Famille propose aux communes pilotes de s‘engager dans un processus pluriannuel et dynamique en 5 étapes permettant ainsi
    d’avoir des résultats rapides, visibles t tangibles.Ce processus met l’accent sur la participation, l’inclusion et la communication.
  • La présentation de l’avant-projet de loi en faveur de l’accueil, de l’orientation, de l’intégration et de l’accompagnement des élèves nouvellement arrivés portant création du Service de l’intégration et de l’accueil(SIA)

 

Langues : bénévoles et apprenants plus forts que le virus

Apprendre une langue seul, le nez dans un bouquin, c’est comme répéter ses gammes sans jamais jouer. Forte de ce constat, l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI), pionnière dans l’apprentissage gratuit des langues au Grand-Duché, a dû changer de braquet avec le virus.
« Dès la première vague, on s’est dit : mais comment va-t-on faire pour les tables de discussion et les cafés des langues?, explique Marc Faber. Tous ces gens qui font tant d’efforts pour apprendre l’une des langues du pays? » Dès fin avril, l’ASTI favorise le virtuel avec une nouvelle formule, auparavant peu utilisée, les binômes «bénévole-apprenant». Succès fou! « D’où une campagne nationale lancée en décembre pour recruter de nouveaux bénévoles », précise Marc Faber. Ces derniers sont 70 pour le moment, toutes langues confondues (français, luxembourgeois, allemand, anglais). Le concept? « On ne remplace pas les cours, il faut déjà avoir un petit niveau, du style A1. Nous proposons des mises en relation ajustées pour accomplir le but de l’apprentissage… parler! »
Marc Faber raconte cette anecdote croustillante, pour rappeler la genèse de l’accent humain mis sur l’apprentissage des langues à l’ASTI. « Il y a une dizaine d’années, l’ASTI dispensait des cours parfaitement académiques. Un jour, les apprenants en luxembourgeois sont venus nous dire : “mais où peut-on pratiquer cette langue régulièrement maintenant?” Entre immigrés ou au travail, ils avaient peu l’occasion de parler en luxembourgeois! De là est née l’idée des premières tables rondes, puis des premiers cafés des langues, où l’accent social et encore plus fort, qui se sont multipliés dans tout le pays. »«Je redécouvre ma propre langue»
En se concentrant sur la formule binôme virtuelle, Covid oblige, l’ASTI renoncerait-elle à la dimension sociale et humaine? Pas vraiment, comme nous l’explique Claude Molitor, retraitée et bénévole en français, installée depuis 40 ans au Luxembourg. « J’ai deux rendez-vous de 45 minutes par semaine avec une dame depuis novembre. C’est quelqu’un de très méritant, qui souhaite parler le français pour des besoins professionnels. Chaque semaine, nous parlons de nos vies, dans les petits moments comme les instants plus marquants. Ce sont des phrases sur les déguisements pour le carnaval des enfants, sur des contacts avec des proches ou la famille, parfois sur des parcours de vie. »


Progresser malgré la pandémie? C’est possible avec les binômes web de l’ASTI!


Français, luxembourgeois, allemand, anglais… le menu est vaste. Encore faut-il des bénévoles, notamment pour le luxembourgeois.

L’aspect technique de la conversation domine. Claude demande d’ailleurs aux apprenants s’ils préfèrent être corrigés à la moindre erreur ou à la fin de l’échange. « Mais l’enrichissement mutuel est là, incontestablement. » Y compris d’un point de vue linguistique! « Je redécouvre ma propre langue maternelle , sourit Claude. La dernière fois, l’apprenante me demandait: pourquoi dit-on “drôle de situation” quand ce n’est pas drôle? Une autre fois, il s’agissait d’expliquer le fait d’être “à côté de la plaque”. J’ai dû faire des recherches, moi-même je ne connaissais pas les racines de cette expression! » Pas simple non plus d’expliquer derrière un ordinateur le fait de «marcher sur la tête»! Le courant finit toujours par passer…
Michele Fanelli, lui, est de l’autre côté du rideau : c’est un apprenant (et donc pas un «élève» donc, puisque ce ne sont pas des cours). Serveur dans un restaurant italien, il est arrivé au Luxembourg en octobre 2019, depuis le Portugal. Son parcours de vie est plein de voyages : « Je suis italien, j’ai travaillé tout un temps en Grèce, puis au Portugal. Ma femme est portugaise. Quand elle a proposé qu’on se rapproche de sa maman au Luxembourg, je me suis dis pourquoi pas, sans trop connaître le pays .» Au départ, Michele maîtrise les mots de français qui lui suffisent pour comprendre les clients. «B onjour, voulez-vous de l’eau? Et avec ça? , récite Michele. Mais c’est lassant de parler comme un robot. »
Avec sa mise au chômage technique, fermeture des restaurants oblige, Michele n’a pas perdu de temps pour meubler son CV. Il parle d’ailleurs déjà un français appréciable! « J’échange via Instagram avec le bénévole. La vidéo passe bien. Je crois qu’elle est avocate, du moins travaille-t-elle dans la justice. Nous parlons de nos repas, de nos pays, de l’Italie, du Luxembourg… Nous parlons de la différence entre les pays. » Il doit aussi affronter quelques situations cocasses avec la langue de Molière. « La chambre est une pièce, c’est ça? », sourit-il. Michele sent qu’il progresse, en même temps qu’il entrevoit un Luxembourg plus large. « Je parle en portugais à la maison avec ma femme, en italien au travail avec mon patron… c’est important de parler français pour moi. »
Les rencontres ouvrent parfois des horizons encore plus lointains. Marc Faber conclut avec cet échange incroyable. « Une demoiselle voulait apprendre l’anglais, je me suis porté bénévole pour les échanges. C’était lors du premier confinement. Je trouvais que la connexion passait mal. J’ai fini par demander d’où elle se connectait… le Brésil! C’est un papy brésilien du quartier de l’ASTI qui avait vu la pub chez nous et qui s’était dittiens, je vais en parler à ma petite-fille, si elle veut progresser en anglais. Petite fille géolocalisée au Brésil, donc! » Ou comment faire de l’international en partant du local.